- ALLÉGORIE (XVIIe s., histoire de l’art)
- ALLÉGORIE (XVIIe s., histoire de l’art)ALLÉGORIE, XVIIe s., histoire de l’artStimulée par les prescriptions du concile de Trente, héritant de la tradition humaniste du XVIe siècle, la peinture allégorique prend, au XVIIe siècle, une extension considérable dans tous les pays catholiques. L’Europe protestante, particulièrement l’Allemagne et la Hollande, la diffusera surtout par le livre, sous une forme plus hybride, indissociable du texte, par la médiation de l’emblème. Définir l’allégorie picturale exige quelques distinctions capitales, d’autant plus qu’elle se déploie dans un siècle qui est celui de la pensée taxinomique. En tant que représentation picturale, l’allégorie est, depuis la Renaissance, en position de rivalité avec d’autres figures symboliques et elle doit donc affirmer sa spécificité face au développement croissant de l’emblème, composé de figures et de texte, de l’«hiéroglyphique», de l’énigme peinte qu’on enseigne dans les collèges jésuites, de la devise. Si l’allégorie a parfois pu être confondue avec ces autres figures, c’est que son mode de signification se fonde également sur une structure métaphorique jouant constamment selon un procédé de substitution qui lui donne toute sa force poétique et expressive. Le trait spécifique de l’allégorie picturale par rapport aux autres figures, c’est d’abord une plus grande autonomie dans sa relation à toutes les formes de discours (poétique, théologique ou mythologique). Le second trait consiste à articuler la représentation sur un double registre: celui de ce que représente véritablement le tableau et ce qu’il signifie, ce qui est visible et ce qui est invisible sous une forme codifiée qui exigera donc des efforts de déchiffrement. Empruntée à la rhétorique antique, la définition de l’allégorie reste effectivement celle d’une représentation dont le sens excède infiniment ce qui est donné à voir. En d’autres termes, le tableau signifie autre chose que ce qu’il représente. Dans le cycle composé par Rubens, l’éducation de Marie de Médicis est figurée par Mercure et Apollon (dieux de la prospérité, de la perspicacité et des arts). Chaque personnification mythologique n’est que le protagoniste d’un récit allégorique. Ce primat du métaphorique dans l’ordre du visible, opposé à l’autorité croissante de l’imitation dans les arts, conduit à une autre distinction: celle de l’allégorique et du symbolique. En effet, le tableau symbolique dominant, lui aussi, depuis le Moyen Âge jusqu’à la fin du XIXe siècle, tend également à représenter l’idée à l’aide de signes appartenant à un répertoire codifié, tels la croix, le trône de Salomon, Marie, voire le Christ lui-même. Le retable de l’Agneau mystique de Jan Van Eyck est le tableau d’inspiration symbolique par excellence.La prodigieuse vitalité de l’allégorie au XVIIe siècle ne peut s’expliquer par le seul génie des artistes (Rubens, Guerchin, Le Brun). La légitimité dont jouit cette figure se fonde en outre sur la double autorité théologico-politique, celle de l’institution ecclésiastique et celle du pouvoir royal. Quand il s’agit d’exalter les actions héroïques et la gloire des monarques, ou les mystères de la religion, seule l’allégorie possède en effet les ressources propres à développer un langage entièrement métaphorique, poétique et pictural, rivalisant ainsi avec le poème épique, qui est en quelque sorte son pendant littéraire. Le prestige, dans la tradition occidentale, d’un langage complètement chiffré, son usage constant dans les cours européennes font de cette figure une sorte d’autorité intellectuelle et politique. Ce point est important dans la mesure où il permet de nuancer les thèses soutenues par Émile Mâle et Walter Benjamin, selon lesquelles toute allégorisation serait, au XVIIe siècle, figée dans la convention. L’immense succès de l’Iconologie de Ripa, théorie érudite de toutes les personnifications allégoriques, montre pourtant l’importance des enjeux esthétiques, littéraires, voire philosophiques, d’une telle entreprise. On sait, en outre, que les souverains (Marie de Médicis ou Louis XIV) sont eux-mêmes intervenus dans le choix des thèmes iconographiques. Cette métaphorisation du pouvoir culmine également dans le ballet allégorique (Louis XIV dansant au début de son règne dans le costume d’Apollon).Au début du XVIIe siècle, l’Italie reste le centre de la création picturale où les genres et les styles ne cessent de se développer. Peintures mythologiques et religieuses se renouvellent sous la double influence de la Contre-Réforme et de l’idéal classique que vulgarise Annibal Carrache. Sans connaître de modification structurelle, l’allégorie est prisée à la cour d’Urbain VIII en raison de son caractère intellectuel et surtout poétique. La réception d’une œuvre, comme la Divine Sagesse d’Andrea Sacchi, en 1634, montre à quel point celle-ci correspond aux attentes et aux catégories esthétiques de l’époque. Capable de figurer les vertus théologales et les idées les plus abstraites depuis le Moyen Âge, l’allégorie devait cette fois montrer toute son ingéniosité en représentant la divine Sagesse sous les traits d’une jeune femme levant les yeux vers le ciel. Un demi-siècle plus tard, Bellori décrit encore la fresque avec enthousiasme. En outre, les grandes réussites d’un Guerchin (L’Aurore , palais Ludovici) ou de Pierre de Cortone à Rome ont valeur d’exemple pour l’art de la fresque et du décor des cours européennes. En France, la commande faite à Rubens pour le cycle de la vie de Marie de Médicis confirme la tendance du pouvoir royal à se présenter et à se représenter comme seule source de «métaphoricité» de la figure, et donc à utiliser ce mode de représentation spéculaire pour sa propre glorification. Dans la seconde moitié du siècle, l’art versaillais ne sera pas autre chose qu’une prodigieuse extension des trois genres picturaux dominants: l’allégorique, le mythologique et le religieux. C’est précisément à propos de cette problématique de l’idée et de sa représentation que naîtra, à la fin du siècle, un conflit entre le mode de pensée allégorique et le rationalisme cartésien aboutissant, au XVIIIe siècle, à une critique générale de presque toutes les formes symboliques.
Encyclopédie Universelle. 2012.